Les papillons bleus ou morphosÀ travers la mer de végétation qu’est la forêt tropicale, les Morphos apparaissent comme de véritables bijoux étincelants…
photo par: Joannie McLeod
Description du groupePlus de 80 espèces de Morphos ont été répertoriées à ce jour. Au niveau de la classification, ils font partie de la grande famille des
Nymphalidae et appartiennent plus précisément à la sous-famille des
Morphinae.
La plus petite espèce mesure 7,5 cm (
Morpho rhodopteron), tandis que la plus grande (
Morpho hecuba) peut atteindre une envergure de plus de 20 cm! Si de nombreux Morphos sont bleues (
M. menelaus, M. didius, M. anaxibia, M. aega, M. rhetenor, M. cypris, M. helena, M. adonis, etc.), certaines espèces sont brunes avec des tons de bronze (
M. hecuba, M. maetulus) et d’autres blanches nacrées (
M. sulkowski, M. polyphemus, M. laertes, M. catenarius, M. luna, M. godarti, etc.). Les femelles sont généralement moins éclatantes que leur compagnon, arborant un bleu un peu plus terne et des bordures sombres ou encore ayant une coloration complètement différente de celle du mâle. Elles possèdent cependant une envergure légèrement supérieure.
DistributionCes magnifiques papillons d’un bleu métallique ne se retrouvent que dans les forêts tropicales de l'Amérique centrale et du Sud (du Mexique au nord de l’Argentine et au sud du Brésil), ainsi que dans les Antilles. On les rencontre communément le long des cours d'eau et des pistes. Une seule espèce fait quelquefois des incursions en Amérique du nord, dans le sud de l’Arizona :
Morpho polyphemus.
Biologie Au sein de la forêt tropicale de l’Amérique du sud, les Morphos se tiennent souvent dans le haut de la canopée (couvert arborescent). Ils volent rapidement et sont particulièrement actifs en plein soleil où ils affectionnent alors se percher et se faire chauffer au soleil. On les retrouve dans l’étage inférieur de la forêt lorsqu’ils se nourrissent ou dorment. En période d’accouplements, ils volent à tous les niveaux de la forêt.
Comme tous les
Nymphalidae et les papillons en général, les Morphos goûtent à l’aide de détecteurs situés à la base de leurs pattes, tandis qu’il goûtent-sentent l’air avec leurs antennes qui sont une combinaison de langues et de nez.
Pour se nourrir le Morpho prélève à l’aide de sa trompe le jus des fruits très mûrs, la sève qui s’écoule des souches pourrissantes et des arbres blessés, de même les exsudats des animaux morts. Ils visitent aussi les étendues boueuses, desquelles ils tirent eau et sels minéraux. Cette stratégie est pertinente considérant le fait que le repérage de fleurs spécifiques n’est pas chose aisée dans la forêt tropicale.
Quoique brillamment colorés, les Morphos ne sont pas en constant danger de prédation. Leur battement d’ailes sont si lents qu’ils se passent de longs intervalles de temps avant qu’ils ne semblent réapparaître de bleu vêtu, les rendant difficile à suivre pour un prédateur. Selon certains, le Morpho use également de sa parure bleue pour décontenancer ses adversaires. Le bleu étincelant de ses ailes ferait sursauter les agresseurs, qui seraient ainsi confondus. De plus, le revers de leurs ailes peut ressembler à des feuilles mortes avec des teintes de gris, de brun et d’orangé. Ces couleurs plus ternes leur confèrent un camouflage certain lorsqu’ils sont au repos, dorment ou ferment leurs ailes en vol. S’ils sont découverts en arrêt, les grandes ocelles qui se trouvent également sur le revers de leurs ailes peuvent laisser croire, à d’éventuels prédateurs, qu’ils ont affaire à plus gros qu’eux.
En vol, les mâles exhibent un comportement agressif si un autre mâle s’approche trop près en le pourchassant. Cependant, deux males se côtoieront sans problème en s’abreuvant à une mare de boue. À la tombée de la nuit, les Morphos tentent à se rassembler ensemble, utilisant un même perchoir de manière répétitive.
Chenille et cycle de vieUne femelle peut pondre de 80 à 300 oeufs. Le cycle vital dure de 3 à 5 mois (en moyenne 115 jours = 3,8 mois).
Les larves des Morphos ne sont pas bleues. D’ailleurs, il est faux de croire qu’il y a un lien direct entre la coloration de la chenille et celle du papillon qu’elle deviendra. Les couleurs sont davantage reliées à la survie de l’individu et, par extension, de l’espèce. Elles peuvent ainsi arborer des teintes qui s'harmonisent bien avec celles de la plante dont elles se nourrissent ou au contraire présentées des couleurs voyantes pour afficher leur toxicité.
La couleur des chenilles de Morphos varie selon les espèces. Celle du
Morpho peleides exhibe des lignes fines brun, rouge et noir, ainsi que deux taches jaunes sur le dos avec des lignes rouges qui la traversent. Son corps est recouvert de poils brun roussâtre et blancs formant des touffes sur le dos. Ces poils sont légèrement urticants. Les chenilles du Morpho menelaus sont brun-rougeâtre avec des tâches de vert lime en forme de feuilles sur leur dos, tandis que celles du Morpho rethenor est brun jaunâtre clair avec des marques brun violacé et deux taches anguleuses claires sur le dos.
Ces chenilles se nourrisent principalement du feuillage de plantes de la famille des Papilionacées (ou Légumineuses: pois, haricot, etc.) telles que
Arachis hypogea (arachide),
Erythroxylum pulchrum (Morpho menelaus), Machaerium seemannii et Lonchocarpus sp. (Morpho peleides), Macrolobium bifolium (Morpho rethenor) et, selon les espèces, d’autres plantes comme le bambou (
Chusquea; Morpho aega) et
Inga (Morpho laertes).
Les chenilles du
Morpho menelaus sont actives durant la nuit. Ces mangeuses nocturnes forment des communautés, mais sont extrêmement cannibales. Cette particularité pourrait représenter un type de contrôle des populations, car ces chenilles semblent avoir peu d’ennemis naturels. Celles qui survivront tentent à conserver leur lien familial en chrysalidant ensemble.
Menacées, les chenilles des Morphos peuvent produire une odeur pénétrante issue d’une glande située entre les pattes antérieures afin de repousser les prédateurs.
Notes et faits divers
• Lorsqu’ils volent au-dessus de la cime des arbres de la forêt tropicale, l’éclat bleu des Morphos peut être aperçu par les pilotes d’avions volant plus haut.
• Le Morpho raffole des exsudations des fruits trop mûrs. Les chasseurs l'ont bien compris et usent de ce genre d'appât (pièges "bananes") pour faciliter leur capture. Le Morpho s'y pose et devient ainsi une proie plus facile. Des leurres métalliques sont aussi utilisés pour leur capture. Le leurre peut laisser croire à un mâle qu’un compétiteur a pénétré son territoire. En voulant le chasser, le papillon se dirige vers le chasseur qui peut tenter de le capturer.
• Cependant, capturer ces insectes en vol est une autre histoire. Ils déroutent les chasseurs en disparaissant sporadiquement de leur vue. En vol, ces papillons replient momentanément leurs ailes de telle sorte que le dessus bleu de celles-ci soit caché et que seul leur dessous brun soit visible puisqu'il se fond remarquablement avec l'environnement. C’est probablement pour cette raison que pour les indigènes de l'Amazonie péruvienne, le Morpho incarne un des esprits maléfiques de la forêt qui désoriente les voyageurs pénétrant dans la jungle afin qu'ils s'y perdent à tout jamais.
• Quoique les ailes de ces papillons furent souvent utilisées, dans le passé, dans la confection de broches, de bijoux et de tableaux, des législations de certains pays sud-américains limitent ou défendent maintenant cette pratique.
• Le mot « Morpho » est un autre nom de la déesse de la beauté, Vénus, dans la mythologie romaine.
Coloration optiqueLes ailes des papillons sont recouvertes de fines rangées d’écailles qui se recouvrent partiellement, à la manière de bardeaux sur un toit. Ces écailles sont généralement orientées selon un angle de 45º par rapport à la surface membraneuse de l’aile. La taille, la forme et la couleur de ces écailles varient beaucoup selon les espèces. La plupart des espèces possèdent deux couches distinctes d’écailles différentes qui donnent aux ailes des papillons leurs couleurs chatoyantes. Les dimensions typiques des écailles sont de l’ordre de 0,075 mm de large par 0,2 mm de long. Si de nombreux Morphos nous apparaissent bleus et leurs écailles brillent comme un signal lumineux lorsqu’ils sont filmées avec une caméra sensible aux ultraviolets, il n’en demeure pas moins que ces écailles ne sont pas bleues comme on pourrait le croire. La surface supérieure des ailes des Morphos n’est donc pas réellement bleu, mais plutôt brun-gris!... Comment cela est-il possible?
En fait, la couleur des écailles relève de deux sources distinctes chez les papillons, qui se retrouvent souvent toutes les deux chez une même espèce, quoique un des types de coloration puisse prédominer. Le premier type est de nature biochimique et repose sur la présence de pigments (comme ceux utilisés en peinture). Ceux-ci sont distincts selon les écailles (mélanines, ommochromes, ptérines, flavonoïdes, papillochromes, etc.). Tous ces pigments sont dérivés des plantes ingurgitées par les chenilles. Ceux-ci agissent par absorption sélective d’une certaine gamme de longueur d’onde et présentent donc la couleur complémentaire de la dominante absorbée.
L’autre coloration est dite optique ou structurale. La face inférieure des écailles est plutôt plate et sans caractéristique particulière, alors que la surface supérieure de ces écailles possède une structure architecturale élaborée connue sous le nom de « fenestration ». Ces microstructures sont composées de nombreuses stries et d’espaces vides, ou inter-stries. La lumière blanche incidente qui traverse ces écailles est soumise à divers phénomènes physiques optiques qui agissent plus ou moins de concert. Ce sont des phénomènes d’interférences (comparable à ceux qui génèrent les couleurs à la surface des bulles de savon), de diffraction (à la manière d’un prisme), de réfraction (déviation) et de diffusion (répartition homogène) de la lumière incidente blanche. Ainsi par exemple, la microstructure des écailles du Morpho rhetenor réfléchit 75% de lumière bleue et seulement 3% de lumière rouge. Bien que ces phénomènes physiques soient assez complexes à décrire en détails, ils n’en sont pas moins à la source de l’ensemble des couleurs métallisées qui se retrouvent sur les ailes des Morphos, mais aussi de l’ensemble des papillons.